-- Monsieur Fillerman vient d'arriver.
-- D'accord Bénédicte, faites-le entrer, s'il vous plait !

La porte s'ouvrit, et Charles Fillerman apparut avec toute son élégance habituelle ; c'est ce que Nikolaï appréciait particulièrement chez lui, son élégance et un certain charisme lié à sa prestance. Fillerman avait, de façon naturelle une silhouette de dandy, et il soignait particulièrement sa tenue. En plus d'être un homme extrêmement intelligent et compétent, il était d'une honnêteté et d'une fidélité rares à l'égard de Nikolaï. La présidence ne l'avait jamais intéressé, lui, ce qu'il désirait le plus au monde, c'était de pouvoir mettre ses compétences au service de son pays et de ses convictions, de donner le meilleur de lui-même pour le bien de tous... jusqu'à l'utopie. Il représentait pour Nikolaï, un homme politique humain et probe, autant dire presque un extra terrestre dans ce milieu de requins. C'était pour toutes ces raisons que Nikolaï l'avait choisi pour être son bras droit, il était persuadé que ses principes et que ses idées lui permettraient de résister à toutes les tourmentes auxquelles les prochaines années ne manqueraient pas de l'exposer, certain de pouvoir compter sur sa confiance, et qu'il pouvait tout lui demander...
Et justement, pour cette première et périlleuse mission, il avait bien besoin de son aide et de son soutien.

-- Charles !

-- Bonjour Nikolaï !... Que se passe-t-il ?... Je suis venu aussi vite que j'ai pu, Bénédicte n'a pas voulu me dire quoi que ce soit au téléphone, si ce n'est que l'affaire était on ne peut plus grave, et que je devais sur le champ venir te rejoindre...

-- Elle n'est pas au courant... C'est,hum... plutôt très confidentiel...

-- On a un problème diplomatique, c'est ça et tu as reçu les premières menaces si tu ne te soumets pas ?

-- Hum... En quelque sorte, on pourrait le voir comme ça, mais...

-- Moyen Orient je parie ?

-- Non, non, Charles, de ce côté-là, Dieu merci, pour l'instant tout va bien. Ce n'est pas tout à fait du domaine de la politique pure... bien que cela engage quand même très sérieusement l'avenir du pays.

-- Ils ont pris un avion en otage ou menacent de le faire ?

-- Non, Charles, calme-toi !... La situation est grave, nécessite de la réactivité, mais elle n'est pas désespérée. Tu veux un café ?

-- Pour que tu me fasses venir aussi vite, je suppose quand même que le problème revêt une certaine importance, non ? Tu as convoqué Nylon des RG aussi, m'a dit Bénédicte. C'est donc qu'il s'agit de sécurité ?

-- Oui, dit Nikolaï, en souriant.

-- Bon, tu me dis quoi...

-- Si tu me laissais en placer une, je pourrais peut-être te l'apprendre effectivement !

-- Excuse-moi, je suis encore un peu frais dans mon ministère, et le stress en plus, ça me rend fébrile. T'as pas autre chose que du café ?

-- Pas de souci Charles, mais je te rassure, l'heure n'est pas grave au point que tu l'imagines, nous sommes simplement confrontés à un défi qu'il va être difficile de relever, mais qui n'est pas impossible...

Nikolaï alla s'asseoir dans son fauteuil et s'enfonça dans son grand dossier. Il leva les yeux au ciel, prit une grande inspiration, puis planta son regard dans les yeux de Charles, toujours en proie à ses interrogations sans réponse.

-- Mélina me quitte.
-- Ah...

-- Elle part pour Los Angeles demain... rejoindre son... John, le cow boy de la finance, et nous divorcerons dans cinq ou six semaines.
-- C'est triste.

-- Oui, c'est triste.
-- Je comprends... mais, tu aurais pu me le dire en déjeunant tout à l'heure, non ?...
-- Non.

-- Tu voudrais te reposer un peu, et que j'assure l'intérim quelques jours, c'est ça ?
-- Non.

-- Tu as besoin d'en parler ?
-- Non. enfin, si on veut... En fait...

-- Monsieur Nylon vient d'arriver, claironna la voix de Bénédicte sur l'interphone.
-- D'accord, Bénédicte, faites-le entrer !

Nylon poussa la porte du bureau. Il avait l'air d'un géant du haut de ses deux mètres zéro six. Son corps massif à l'allure un peu disproportionné lui conférait une prestance singulière.
Nikolaï avait beaucoup travaillé avec lui, lorsqu'il occupait lui-même le ministère de l'Intérieur. Il appréciait chez Nylon sa discrétion et son efficacité, ainsi que, il lui fallait bien l'avouer, sa roublardise. Nylon n'avait certes pas les mêmes capacités intellectuelles hors du commun de Fillerman, mais il savait mener à bien n'importe quelle mission, sans se laisser démonter par aucune difficulté. Il allait jusqu'au bout, quoi qu'on puisse lui demander, et admirait suffisamment Nikolaï pour mériter sa confiance.

Nylon avait gravi les échelons au mérite, du plus petit grade au plus haut, il chapeautait désormais toute la sécurité nationale, et un peu plus, et connaissait tous les potins souterrains du Gotha de la politique et des VIP internationaux. Une personne comme Nylon était un atout inestimable dans la quête que Nikolaï allait devoir mener, d'autant plus que son réseau personnel comprenait aussi des informateurs confidentiels et discrets, dont le nom n'apparaissait nulle part hormis dans le calepin secret qu'il s'était gravé dans le cerveau.
Nylon était un policier hors pair à condition de ne pas le contraindre à trop de paperasseries et de protocoles... En fait, juste ce dont Nikolaï avait besoin : des renseignements, de l'efficacité et de la discrétion.

-- Bonjour Henri, comment vas-tu ?

-- Bonjour Nikolaï ! Bonjour Charles !... Tu n'as pas choisi le meilleur jour, j'ai une délégation marocaine qui arrive à l'ambassade dans deux heures, et j'ai laissé l'affaire à Brénet, mais tu sais que j'aime bien être sur le terrain moi-même quand ils font le déplacement à Paris. C'est toujours un peu chaud, et pour un rien, ils deviennent nerveux... Enfin bon, j'ai dit que j'étais là et qu'on m'appelle au moindre pépin !
Qu'est-ce qui se passe ?

-- Mélina me quitte.
-- Ah...

-- Elle part pour Los Angeles demain matin, nous divorcerons dans cinq ou six semaines.
-- C'est triste...
-- Oui, c'est triste.

-- Je comprends, mais...
-- Oui, j'aurai pu t'en parler en dinant ce soir, je sais... mais, en fait, il y a autre chose... Et c'est pour cette autre chose que je vous ai fait venir tous les deux en urgence.

-- Nous t'écoutons !

-- Alors, c'est un peu... enfin, ça va peut-être vous paraitre... comment dire... Un peu fou, mais, croyez bien que j'ai pris une décision mûrement réfléchie avant de vous en parler. Voilà : je ne peux pas assurer la présidence seul...

-- Tu veux "abdiquer" ?

-- Non, Henri ! Je ne suis pas un roi, je n'abdique pas !... Et puis, je me suis assez battu pour arriver là, je ne vais pas renoncer parce que Mélina s'en va. C'est vrai que j'avais espéré que ça la fasse réviser sa position, et que nous puissions repartir sur de nouvelles bases, mais bon... ça n'est pas possible... Et, je dois bien continuer sans elle, non ?

-- Oui, il est évident que tu dois continuer Nikolaï...

-- Merci Charles !
Non, en fait, le protocole a été prévu pour un couple présidentiel. Or, je me retrouve seul, et cela ne peut que me compliquer la vie.. Il me faut de toute urgence trouver une femme pour m'accompagner durant mes fonctions.

-- Ah ben, j'ai ce qu'il te faut, parmi nos agents, certaines sont très compétentes sur les mondanités, et nous avons même quelques éléments qui seraient très... valorisants pour toi.

-- J'ai besoin d'une femme Henri, pas d'un agent de sécurité, ni même d'un agent secret !

-- Tu veux dire, heu... une "Escort Girl" ? Enfin, je veux dire, pour après les mondanités aussi ?...

-- Non, Henri ! J'ai besoin d'une femme ! Une femme, juste une femme, comme Monsieur tout le monde quoi, avec laquelle je peux me marier, et qui sera ma femme ET la première Dame de France !

-- Tu songes déjà à te remarier alors que Mélina t'a annoncé son départ il y a quelques heures ?

-- Charles, veux-tu bien cesser tes remarques moralisatrices, je te rappelle que l'affaire est grave, et que je vais être le premier président de la République divorcé durant son mandat, et qui plus est, célibataire ! Certes, j'aime me démarquer et je compte bien réformer beaucoup de choses dans ce pays, mais si je ne prends pas en main mon avenir conjugal tout de suite, je vais être la cible de toute la presse people internationale et la risée de tous les diners mondains à venir. Je dois donc trouver ultra rapidement une solution pour sauver la mise, c'est-à-dire une femme, et l'épouser au plus vite !

-- D'accord, Nikolaï, nous comprenons bien la situation, Henri et moi je pense. Mais, en quoi pouvons-nous t'être utiles, je ne comprends pas bien...

-- Ben surtout que si c'est pour un mariage, ce serait peut-être mieux que tu l'essaies toi-même ta nouvelle femme. C'est personnel ces choses-là...

-- Oui, Henri, c'est personnel ces choses-là ! Sauf que... je n'ai pas le temps ni le loisir de chercher une femme, de la séduire, de la courtiser, d'en tomber amoureux, et de la présenter à la France entière en cinq semaines.
Et c'est là, Charles, Henri, que vous allez tous deux m'être utiles !

-- Ah bon ?... Nous t'écoutons de plus en plus attentivement...

-- J'ai décidé de... comment dire... J'ai décidé de recruter une actrice !

-- Pardon ?

-- Une actrice ?

-- Oui ! Je veux engager sous contrat, une actrice qui devra m'épouser, et tenir le rôle de Première Dame de France durant toute la durée de mon mandat... Et bien sûr... plus si affinités...

-- Et plus si affinités ?

-- Oui... enfin, non... Je veux dire, si je suis réélu, il faudra aussi qu'elle soit préparée à cette éventualité, je ne vais pas recruter une nouvelle femme à chaque mandant, et je ne vais pas arrêter la politique non plus parce que Mélina m'a plaqué.

-- Ah...

-- Et tu comptes t'y prendre de quelle façon exactement ?

-- Hé bien... C'est pour ça que je vous ai fait venir tous les deux... En fait, comment je vais m'y prendre : j'en sais rien du tout !

-- Hum... et donc, tu comptes sur nous...

-- Vous êtes les deux personnes en lesquelles j'ai le plus confiance ici, vous le savez. Cette histoire d'actrice sous contrat devra, bien évidemment être classée top secret. Personne ne devra être en mesure d'apprendre la vérité.
Toi, Henri, tu seras chargé de vérifier tout, absolument tout sur cette personne, et aussi de la surveiller de près tout le temps qu'elle sera sous contrat, sans toutefois que cela ne soit perceptible. De toutes les missions secrètes que tu as menées dans ta carrière, celle-ci est certainement la plus tordue que l'on ait pu te demander, et il n'y a qu'à toi que je puisse demander cela.
Ta mission commence immédiatement.

-- Bien, chef !

-- Toi, Charles, en ce qui te concerne, tu vas m'aider à choisir cette femme pour ses capacités. Tu as un jugement très sûr sur les gens, tu sais chercher les détails qui font la différence. Tu sais apprécier le raffinement, l'élégance. Tu vas m'aider à trouver la perle rare, tant au niveau de la personne que de la femme. Et, quand nous l'aurons dénichée, tu t'assureras durant les mondanités qu'elle respecte le contrat dont tu seras aussi chargé de rédiger les termes, en n'omettant aucun détail ni cas de figures.
C'est un travail d'une extrême rigueur que tu dois mener, en t'inspirant à la fois des nécessités de l'État et de ta propre vie conjugale. Ce contrat est d'une importance capitale pour la réussite de mon plan, tu es un juriste rigoureux, tu sais trouver les formulations, les règles et les exceptions. Je te demande de te creuser les méninges dès maintenant, tu as environ trois jours pour me présenter la première mouture.

-- Ce n'est pas une mince affaire ce que tu me demandes !... C'est terriblement compliqué à gérer, il va falloir tout prévoir point par point, jusqu'à votre degré d'intimité...

-- Oui, je sais, ça ne va pas être facile, mais je sais que tu vas t'en sortir...

-- Mais où tu vas la trouver cette Super Woman ?

-- Je ne sais pas encore très bien. J'ai pris contact avec Horlando.

-- Horlando ?

-- Horlando, ce vieux mytho ?!

-- Arrête Henri ! Il connaît tout le Gotha du show business, il peut nous aider sérieusement.

-- Et tu peux t'assurer de sa discrétion ?

-- Ne t'inquiètes pas pour ça, Charles ! Horlando me doit un service, et je saurai le remercier de ce retour d'ascenseur au-delà de toutes ses espérances. Horlando est un chic type même s'il peut paraître un brin farfelu, on peut lui faire confiance. Il sera chargé du repérage et de la mise en relation, mais il ne sera pas dans le secret de l'existence du contrat. La version qui sera présentée à Horlando sera la même que celle présentée au reste du monde. Ensuite, Henri s'assurera des antécédents et des bonnes mœurs de notre cible, afin qu'aucun squelette ne jaillisse soudainement d'un placard, et charles donnera son avis. Enfin, en dernier lieu, je me prononcerai selon mes exigences... heu... personnelles. Je pense que c'est jouable.

-- Ben quand même... ça va pas être facile facile...

-- Non, comme tu dis Henri, c'est pas gagné d'avance, mais ça n'est pas impossible non plus.

Au fait Charles...

-- Oui ?

-- Il faut au plus vite que tu calcules le budget que l'on peut dégager pour ce poste.

-- Ah oui, évidemment... Je n'y avais pas pensé. Sur quoi dois-je rogner en priorité ?

-- Écoute, ça... Tu te débrouilles : les questions d'argent et de montages juridiques, c'est ton domaine. Moi, ce que je veux, c'est savoir de quel budget je peux disposer !...

-- D'accord, je vais étudier ça dès cet après midi, et tu auras une "estimation à la louche" de ce que je peux dégager en fond d'urgence... disons... demain midi. Et ensuite, je verrai si cela rentre dans ce que tu penses devoir y mettre.

-- Très bien.

-- Et moi, je suis sensé faire quoi pour l'instant ?

-- Toi, Henri... Tu me fais une liste mentionnant des actrices, disons entre 35 et 45 ans, disponibles, pouvant correspondre au profil que l'on recherche, exemptes de tout scandale, de bonnes familles, etc...
Enfin, tu as compris ce que l'on recherche ! Tu me fais parvenir ça à mesure, et le plus rapidement possible, cela va de soi. Et tu te débrouilles aussi pour recueillir un max d'infos qui pourraient nous aiguiller vers une solution pour la trouver... Forme une équipe, invente le baratin que tu veux, parce que personne d'autre que nous trois ne doit être au courant. C'est clair ça ?

-- C'est parfaitement clair Nikolaï !

-- Bien reçu Chef !

-- Bon, nous sommes dans une situation exceptionnelle, mais cette mission d'urgence n'empêche pas que vous meniez vos différentes tâches en cours. Elle est seulement éminemment prioritaire : le temps compte !
De mon côté, je vais faire le maximum. On se revoit ici en fin de semaine, c'est-à-dire vendredi, dans trois jours. Nous ne devons jamais aborder ce sujet en un autre lieu que mon bureau. Si vous avez à m'en parler de façon urgente, nous allons convenir d'un code entre nous.

-- Mission Casse-Gueule !

-- Henri, je te prierai de ne pas faire d'humour sur la question, elle est d'une importance que tu ne sembles pas avoir bien comprise.

-- Pardon, Nikolaï... elle me stresse un peu cette mission. Tu ne te rends pas comptes de ce que tu nous demandes je crois. Moi, avec mes hommes, quand on travaille sur des missions secrètes, je leur explique bien pourquoi elle est secrète cette mission, et là, je vais devoir inventer un baratin incroyable que j'ignore encore pour l'instant. Tu me mets en position très délicate.

-- Oui.. Je sais que je vous demande l'impossible les gars, mais... Il n'y a qu'à vous que je puisse demander cela.

-- Sois tranquille Nikolaï, nous y arriverons ! Je vais poser les différentes parts du contrat dès ce soir, et je t'informerai à mesure des points de vigilance auxquels il faudra vraiment apporter un soin particulier... Nous sommes à tes côtés, on ne va pas te laisser tomber !

-- J'ai totalement confiance en vous.

-- Que penserais-tu de "Contrat Nouvelle Emploi" pour un emploi d'un genre vraiment très nouveau ?... Je trouve que ça sonne très "priorité", non ? Le C.N.E...

-- Allez va pour le "CNE", au pire, si ça s'ébruite, on pourra en faire autre chose sans éveiller trop de suspicion, c'est pas mal... Qu'est-ce que tu en penses, Henri ?

-- Je ne suis pas très qualifié pour éclairer ce genre de débats... mais avec les termes Contrat et Emploi, certaines personnes pourraient penser que tu prépares un coup fourré salarial, et les syndicats pourraient se sentir menacés et essayer d'en savoir plus.

-- Oui, tu as raison...

-- A la limite, on peut inventer une mission commando bidon, style "WarriorWoman", dont personne ne pourra décrypter de quoi il peut s'agir...

-- OK, tu peux me proposer quelque chose ?

-- Heu...

-- J'ai trouvé ! Charles, tu gardes ton "CNE" entre nous. Et pour Henri et moi, nous parlerons du "CSA" la Casting Sans Amour... Que tu t'occupes du CSA ne surprendra personne après tout, si le terme venait à nous échapper ou si quelqu'un surprenait l'un de nos échanges...

-- Bien vu Chef !

-- Bon, hé bien, au boulot les gars, alors ! Je contacte Horlando dans l'après midi, et je vous tiens au courant.

-- A tout à l'heure Nikolaï !

CHAPITRE 2

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