-- Cette fois, c'est terminé la mascarade, Nikolaï ! Nous sommes arrivés au terme du contrat, je m'en vais !

-- Mais, Mélina, tu ne peux pas me laisser comme ça... Je suis élu maintenant. Aucun président de la République n'a jamais divorcé durant son mandat !

-- Nikolaï, je te rappelle les termes de notre accord : je suis revenue "vivre" à tes côtés uniquement pour ne pas bousiller ta campagne, et parce que TU me l'as demandé. Notre mariage est terminé depuis longtemps, tu le sais aussi bien que moi. J'ai pris en compte tes ambitions politiques, et j'ai consenti à t'épauler pour que tu puisses mener à bien ton ultime bataille. Mais je n'avais jamais sérieusement imaginé que tu pourrais être élu !

-- Ah ben... Je te remercie de ta confiance Mélina, ça me va droit au coeur !

-- Oh, tu sais très bien ce que je veux dire...

-- Non, vas-y, explique-moi clairement ce que tu sous-entends...

-- Je ne sous-entends rien du tout... Et puis ce n'est plus la peine d'en parler ! Juste il se trouve que nous avions convenu que notre séparation risquant de ruiner ton avenir politique au moment où elle apparaissait comme inévitable, nous attendrions un moment plus favorable pour l'annoncer officiellement, c'est-à-dire après l'élection... En ce qui me concerne, j'ai tenu dignement et loyalement mes engagements, c'est à ton tour à présent !

-- Je t'en remercie sincèrement Mélina, mais...

-- Il n'y a plus de "mais" Nikolaï, je ne vais pas attendre encore cinq ans ou que ta cote de popularité baisse dans les sondages. J'existe moi aussi !... Je ne veux pas être la femme du président, je veux juste être moi, et vivre la vie que j'ai envie... et le plus loin de toi possible !

-- J'entends bien Mélina... mais tu pourrais peut-être l'essayer un peu cette nouvelle vie avant de décider... Peut-être qu'elle pourrait te plaire... C'est aussi pour toi que je la voulais cette présidence. Pour nous... Nous pourrons voyager, rencontrer des gens extraordinaires... Tu m'aiderais à prendre les bonnes décisions, et tu pourrais aussi te construire un avenir pour après ces cinq ans-là... Tu sais, ça passe vite cinq ans... et puis...

-- Et puis ?...

-- Et puis, moi je t'aime toujours Mélina... comme au premier jour... comme un fou...

-- Oui je la connais la chanson Nikolaï : comme un fou, comme un soldat, comme une star de l'audimat, oui ! Cesse de jouer sur ce registre ! Notre mariage est foutu, et cela depuis bien longtemps, on ne peut plus rien reconstruire sur ce champ de ruines.

-- Je suis sincère Mélina, je n'ai jamais aimé que toi. J'ai besoin que tu sois à mes côtés, je sais que tu sauras me conseiller, m'écouter, me comprendre... J'ai besoin de te voir, de te sentir, de te toucher, que tu sois là quoi... Cette présidence, je la voyais comme "notre" Présidence, je la voulais pour... pour te l'offrir...

-- Nikolaï, tu savais bien que cela ne changerait rien à ma décision. C'est bien ça le problème avec toi : tu as besoin que je sois là, que je t'écoute, que je te conseille, que je te regarde... Mais je ne peux pas exister uniquement pour toi et ton bien-être : je suis aussi un être à part entière, qui a besoin de la même façon, qu'on la regarde, qu'on l'écoute... Et puis... Il y a John aussi.

-- John ?... Ah oui, ton banquier américain... ton cow boy de la finance qui pourchasse des vaches dans son ranch le week-end.

-- Je n'ai pas envie que nous parlions de lui ensemble, cela ne regarde plus que moi. Je veux vivre avec lui, un point c'est tout ! Et ce n'est certainement pas ta présidence ou l'avenir de la France qui m'en empêchera !

-- D'accord, d'accord, je te prie d'excuser mes dernières paroles. Ne t'énerve pas, ce n'est pas ce que je voulais dire... Mais, peut-être pourrions-nous alors, en ce cas, attendre encore quelques mois avant d'officialiser notre séparation, et puis... Tu pourras encore réfléchir un peu en découvrant et en goûtant les avantages que te procurera notre nouvelle vie.

-- C'est tout réfléchi, je veux qu'on arrête ce cirque au plus vite Nikolaï.

-- Bon. Je vois que je ne peux plus rien dire ou faire pour que tu changes d'avis. Je comprends. Je m'incline même si tu me brises le coeur. Ce rêve, je l'ai fait pour nous deux, tu y avais ta place autant que moi, sache-le en tous cas.

--....

-- J'aimerais que nous fassions le moins de scandale possible, c'est tout.

-- Tu sais bien que je ne ferai jamais rien qui puisse te nuire Nikolaï. Bien que je ne ressente plus aucun amour pour toi, je respecte l'homme que tu es et les ambitions qui te portent. Néanmoins, l'ère des compromis et des mensonges est terminée : avant Noël, je veux être redevenue une femme totalement libre.

-- Avant Noël ?

-- Cela te laisse tout de même presque quatre mois pour t'organiser... Et en attendant, je souhaite partir un peu à Los Angeles pour me reposer et évacuer tout le stress de la campagne. Je pense que... l'opinion publique, et peut-être même toi, pourra le comprendre, non ?

-- Mais comment je vais faire pour les prochains voyages officiels qui s'annoncent ?... Je ne peux pas y aller tout seul quand même ?...

-- Écoute, je ne sais pas; Je ne peux pas avoir de réponse à toutes tes questions. Trouve-toi une femme !... Il y en a beaucoup qui rêveraient d'endosser le costume de la Première Dame de France, tu n'auras que l'embarras du choix.

-- Une femme, c'est facile à dire... Je ne peux pas prendre n'importe quelle femme comme ça, et la porter à la présidence de la République. Il faut qu'elle ait des qualités humaines, intellectuelle, que je puisse lui faire confiance, qu'elle sache se tenir dans le monde, qu'elle soit élégante et raffinée, qu'elle ait une certaine aisance avec les mondanités, de la culture, et si possible qu'elle soit aussi gracieuse physiquement... Ce n'est pas une mince affaire, et j'ai un emploi du temps par ailleurs assez chargé... Je la trouve où moi cette perle rare ?... Je m'inscris dans une agence matrimoniale ? Sur un site de rencontres sur Internet ? Je lance un appel à la télévision ? Je mets des annonces à la boulangerie ?... Comment tu veux que je trouve une femme en quelques mois ?...

-- Je te le répète Nikolaï : je ne sais pas !... Dans le pire des cas, tu peux toujours engager une actrice, parce que moi, je ne veux plus jouer ce rôle-là. Je ne peux pas t'aider cette fois-ci, et en plus je vois qu'il est l'heure que je file si je veux laisser toutes mes affaires en ordre avant mon départ demain matin. Je suis désolée Nikola¨, mais cette fois, tu devras te débrouiller sans moi !

-- Quand rentres-tu ?

-- Dans quatre semaines...

-- Dans quatre semaines !... Et si je n'ai trouvé aucune piste d'ici-là : est-ce que tu m'accompagneras pour le voyage en Australie ?

-- Tu exagères, Nikolaï, comme toujours ! C'est vrai qu'un délai de quatre semaines, c'est court pour dénicher la femme parfaite... mais je sais que tu peux y arriver. Je demanderai le divorce après le voyage en Australie, que tu l'acceptes ou non. Il faut, à un moment, savoir prendre ses décisions, même quand les circonstances semblent peu propices, et il me semble que je t'ai déjà accordé pas mal de faveurs, en sacrifiant ma vie à tes ambitions. Je n'irai pas plus loin sur ton chemin, le mien m'appelle...

-- OK, puisque je ne peux rien faire d'autre. Je te promets Mélina, que ce sera notre dernier voyage, et que je ne te demanderai plus rien après. Tu as raison, tu en as fait beaucoup, je le reconnais très objectivement. tu as le droit de mener aussi ta vie, avec tes propres ambitions. Je suis bien conscient que je ne serai jamais arrivé là sans toi, et je t'en remercie... vraiment... Je vais réfléchir à ton idée d'engager une actrice, c'est peut-être la solution après tout... parce que je ne suis pas prêt à aimer une autre femme que toi, et sûrement pas dans les quatre semaines qui viennent.

-- Pardon ?... Mais Nikolaï, je ne parlais pas sérieusement ! C'était juste, comment dire... une boutade...

-- Ah bon ?... Moi je la trouve excellente cette idée. Et puis, il y a des précédents : Marylin Monroe, Grace Kelly,...

-- Tu perds la raison Nikolaï !...

-- Pas du tout Mélina, au contraire !... Je ne compte pas tomber amoureux d'une actrice, juste l'engager avec un vrai contrat, un vrai rôle et des vraies répliques à donner, comme pour un film. Et le tournage durera cinq ans, tous frais payés, c'est la seule différence !

-- Tu es complètement fou ! Tu veux te refaire "Pretty Woman" version présidence, c'est ça ?... Aucune actrice digne de ce nom n'accepterait de jouer un tel rôle... et en plus pour cinq ans.

-- Tout dépend du prix que je la paierai...

-- Tu crois donc que tu peux tout acheter ?... Je te plains Nikolaï. Toutefois, je suis curieuse de savoir comment tu vas t'en tirer cette fois, et de quelle façon tu vas réussir à retomber sur tes pieds.. Tiens, je te mets au défi de réussir cette prouesse !

-- Pari tenu : quel est l'enjeu ?

-- J'ai dit "défi", pas pari !

-- Oui, mais... si je relève dignement ce défi ?...

-- Je considérerai que tu es l'homme le plus diaboliquement puissant du monde, ce qui, j'en suis certaine, te flattera au plus haut niveau !

-- J'obtiens toujours ce que je veux Mélina... tu es la seule personne à qui je puisse consentir l'avantage ou même la victoire. Je relèverai le défi, et je gagnerai. Et si... au terme des cinq ans tout s'est bien passé, quelle récompense pourrais-je espérer de ta part ?

-- Je t'ai déjà donné tout ce que je pouvais te donner Nikolaï... et je vais me construire une nouvelle vie... Je te souhaite bonne chance... et bonne chasse. Mais cette affaire ne me regarde plus, c'est seulement un nouveau défi que tu te lances à toi-même et que j'observerai de loin... Au revoir Nikolaï !

-- Au revoir, Mélina...

La porte se referma sur la silhouette fluette de Mélina. Nikolaï entendit le bruit léger de ses talons s'enfuir dans le lointain. Le président éprouva tout à coup, violemment, sa première seconde de solitude, et cet état l'angoissa... sa première seconde de célibat. Il était désormais seul face à son destin, seul face à une République entière, seul face à lui-même. Et dans ce bureau aussi vaste que son désert affectif, Nikolaï Sherkan sentit soudain que la grandeur et la valeur d'un homme ne tiennent, ni à sa taille ni à son pouvoir, mais bien à la quantité d'amour qu'il peut donner ou recevoir.

Il fallait que Nikolaï mette tout de suite son plan en action : l'idée lui semblait géniale, merveilleuse, oui, tout simplement merveilleuse... de ces idées dont Mélina avait le secret. Nikolaï savait qu'il n'aurait jamais pu avoir une telle idée tout seul. A peine Mélina était-elle partie, qu'il mesurait déjà combien elle allait manquer à sa vie : elle était décidément la femme la plus extraordinaire qu'il avait jamais rencontrée...

Mais comment diable allait-il s'y prendre ?... D'ici cinq semaines, l'affaire devrait être réglée, il n'y avait pas une seconde à perdre. Nikolaï se glissa dans son grand fauteuil de président, derrière son grand bureau d'ébène, et il se sentit comme un collégien qui fait sa première rentrée, tout petit dans un univers de grands que d'autres fréquentent déjà depuis longtemps, un univers aussi inconnu qu'effrayant... mais en même temps, il se sentait terriblement excité d'y avoir réussi l'examen d'entrée.

Il planta son doigt sur l'interphone, et sonna sa première assistante :
-- Oui, monsieur Sherkan ?

-- Bénédicte, convoquez immédiatement Mr Fillerman et Mr Nylon ! C'est urgent ! Dites leur bien de venir sur le champ, nous avons une affaire extrêmement pressante à régler qui exige une réactivité exemplaire ! Je les veux dans mon bureau dans moins d'une demi heure !

-- Oui, Monsieur Sherkan !

-- Et préparez-nous du café dès qu'ils seront arrivés... Une très grande cafetière, s'il vous plait !

-- Entendu, Monsieur Sherkan !

Nikolaï relâcha le bouton, puis se ravisa :
-- Bénédicte ?

-- Oui, Monsieur Sherkan ?

-- Appelez-moi aussi Mr Horlando au ... Nikolaï sortit son petit calepin noir de la poche intérieur de son veston, et l'ouvrit à la lettre ... au 06 21 46 64 56. Dites que c'est de ma part, et qu'il me rappelle dès que possible. Donnez -lui mon numéro de portable bleu !

-- Le bleu, Monsieur ?... Vous êtes sûr ?...

-- Oui Bénédicte ! Le bleu... puisque je vous le dis...

-- Bien Monsieur.

-- N'oubliez pas de me prévenir dès que Nylon et Fillerman seront arrivés. Ils ne sont pas encore là ?

-- Je ne les ai pas encore appelés Monsieur...

-- Comment ça ? Mais qu'est-ce que vous fichez nom de nom Bénédicte, je vous ai bien dit que c'était urgent !

-- Mais, heu... Oui, Monsieur, tout de suite !

Nikolaï avait la caractère impatient d'un enfant gâté : les choses n'allaient jamais assez vite à son goût une fois qu'il les avait décidées. De plus, ce nouveau défi l'exaltait au plus haut point, il allait endosser le rôle d'un maitre de casting pour dégoter la femme qu'il allait côtoyer durant les cinq prochaines années, cela signifiait quand même quelque chose ! Il lui fallait dénicher le top du top... ça n'allait pas être facile, mais il réussirait. rien ne pouvait résister à sa détermination, à part l'obstination de Mélina...

Tout de même, il avait le coeur en miettes....

Nikolaï se laissa aller à rêvasser, revoyant dans sa tête sa première rencontre avec Mélina, leur mariage, la naissance de leur premier enfant, les dîners aux chandelles qu'ils s'offraient une fois par mois, rien que pour eux... Il savait bien qu'aucune femme, jamais, ne pourrait prendre sa place dans son coeur : elle restait maître du lieu à son corps défendant.

C'était bête tout de même d'arriver à ce stade ultime de réussite... et d'y être si seul...

Cette idée d'actrice, d'accord, c'était peut-être un peu fou, mais elle permettait de limiter les risques de dérapage puisque Nikolaï et elle seraient liés par un contrat dûment discuté, accepté et signé, qui prévoirait jusqu'aux moindres détails, qui anticiperait tous les problèmes... parce qu'aux yeux de tous, cette femme exceptionnelle devra apparaitre comme LA femme de sa vie, leur couple devra être un modèle, et leur bonheur devra transpirer sans réserve.

Nikolaï se sentait l'âme d'un Pygmalion, et se laissa doucement emporter sur le fil de ses espoirs et de ses rêves.

CHAPITRE 1

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